C'en était tout simplement insupportable. Aucune nouvelles, pas un message, pas une trace de vie, c'était suffisant. Je ne pouvais rester là, dans ma chambre à me dire que c'était ma faute. Plus ou moins okay, mais si nous n'avions pas cette épée de Damoclès au dessus de notre tête, il n'aurait pas fui. Fui de ma vie, de celle de ses parents, je n'aurais pas perdu un ami. Depuis l'enfance que je le connaissais, il était une personne importante que je refusais de perdre. Je ne savais pas comment empêcher ce mariage, forcés de nous unir l'un à l'autre par nos parents respectifs, je n'avais aucune solution potable, viable mais j'avais une certitude. C'en était assez de tout ça. Qu'à la sortie de mon dernier cours de la journée, j'avais filé à l'appartement de Jules à l'adresse que l'on m'avait indiqué après de nombreuses recherches. Après mes tentatives de renouer le contact par le biais de nos téléphones non fructueuses, il était temps d'y aller au culot. Que montant les escaliers un à un, j'espérais silencieusement que cela servirait à quelque chose. Arrivé devant l'appartement 2, c'est avec force et conviction que je frappais. « Jules, ouvre, ça suffit les gamineries, ils ne savent pas que je suis ici. Ouvre s'il-te-plait on doit parler. Tu me manques petit chenapan. » Je n'avais aucune idée de si il se trouvait derrière cette porte ou bien si il était absent de son appartement. Mais cela suffisait, mon ami d'enfance me manquait. Et l'appeler par le surnom que je lui avais affublé des années plus tôt me faisait encore plus remonter dans le temps. Surnom que j'étais la seule à lui donner.

Le néant. J'observais le paysage, accoudé à ma fenêtre, observant la neige tomber et recouvrir Moscou d'un drap blanc. C'était un spectacle magnifique, mais tellement répétitif au fond. Je voyais ça tous les jours, et pourtant je ne me lassais pas de regarder. Et je fumais, clope sur clope, pensant à ma vie, ou plutôt à ce qu'était devenue ma vie. Avant, j'étais libre de tout. J'enchainais, séduisant les filles à tout va, profitant de ma jeunesse pour escroquer, me saouler, me droguer, dealer même. J'étais libre, et mes parents étaient fiers de moi, ne se doutant pas une seule seconde de ce que j'étais en réalité, il valait mieux d'ailleurs. Je suis toujours libre au fond, mais pourtant je ne me sens plus comme tel. Quelque chose m'empêche de l'être totalement. Ce mariage, ce foutu mariage.
C'est sur, il fallait nous sortir de la faillite, financièrement c'était difficile. Mais pourquoi tout reposait sur moi ? Pourquoi devrais-je me sacrifier, me priver de ma liberté ? C'est sur que ma promise, je n'ai pas à m'en plaindre. Je l'adore, et elle est magnifique. Mais je ne suis pas amoureux. Et je ne veux pas être fidèle. J'aurai l'air de quoi moi, en homme casé ?
Alors j'étais là, à songer sur ma triste vie, finissant ma cigarette. Quelque chose me sort de mes pensées. On frappe à ma porte, et je reconnais cette voix directement. Mon coeur fait un bond. Elle est de retour, Sacha. Mes parents sont ils avec elle ? Comment m'a t'elle retrouvée ? Des milliers de questions se bouscule dans ma tête et il suffirait que je lui ouvre pour en connaitre les réponses. J'hésite l'espace d'un instant. Puis je me décide enfin. Je lui ouvre. Sans dire un mot, je l'observe. Ses cheveux sont plus longs, elle est toujours aussi belle. Elle m'a manqué, elle aussi. Mais je ne dis rien, je ne sais plus quoi dire à présent.

Aujourd'hui c'était le grand jour : celui où de gré ou de force j'allais revoir Jules Belinski pour le refaire rentrer dans ma vie. Plus un jour de plus sans mon ami à mes côtés, c'était clair et précis dans ma tête. Depuis l'enfance je l'avais près de moi, c'est pas une fois adultes qu'il allait décidé de prendre la tangente. C'était tout simplement hors de question. Négatif avec un grand N. Je toquais comme une dératée, ne sachant pas si il se trouvait bien à l'intérieur de son appartement mais certaine que si il n'ouvrait pas à force, j'étais prête à l'attendre dans sa cage d'escaliers. Une femme déterminée était prête à tout vous savez... Et il était temps que je revois cette bouille, que je le tape pour m'avoir laissé et qu'enfin je le prenne dans mes bras pour lui montrer à quel point il m'avait manqué. Ce petit chenapan était insupportable, à partir comme ça, sans donner la moindre nouvelle. Plus je pensais à ça, plus j'espérais qu'il ouvrirait bientôt, l'intensité de mes toc montant selon mon énervement qui croissait petit à petit au fil de mes pensées. Lorsqu'enfin je vis la poignée commencer à s'ouvrir, j’arrêtais de faire du bruit, pour voir si mon ami allait bien m'ouvrir la porte ou si ce n'était qu'un effet de mon imagination. Lorsque je pus le revoir, une larme, solitaire vint à perler, la joie vint s'emparer de mon cœur et plus fort que moi je me jetais dans les bras de Jules sans l'en avoir averti au préalable. Surprise. Pensais-je tandis que je le serrais fort, profitant de cet instant qui allait c'était certain dégénérer un peu. Il m'avait laissé...

Une larme coule le long de sa joue, et je m'en veux. Pour tout. J'ai été égoïste oui, mais j'étais pris au piège. On voulait m'enlever ma liberté, je n'avais pas supporté. Et voir Sacha pleurer devant moi me fait comprendre que ça n'a pas du être facile pour elle non plus. Et je savais que rien de ce que je pourrais dire n'arrangerait le coup. C'était trop tard, le mal était fait, cette histoire était allée beaucoup trop loin.
Elle se jette dans mes bras, sans que je ne vois rien venir. Je la serre dans mes bras moi aussi, elle m'avait manqué c'était évident. Oh, Sacha... Qu'allions nous faire à présent ? Je ne savais même pas la raison de sa présence. Achever le contrat ? Nous marier pour de bon ? Ou bien continuer de lutter, ensemble cette fois ? Ma fuite n'avait fait que retarder le processus, mais désormais il nous fallait trouver une véritable solution, et cela sans faire souffrir personne. « Je suis désolé... » C'est la seule chose que je parviens à prononcer, et c'est minable je sais. Et ce n'est peut être pas véritablement ce qu'elle a envie d'entendre, mais en cet instant précis je suis perdu. Mes pensées se heurtent, et me donnent mal à la tête à force de réfléchir. Pourtant j'étais véritablement désolé mais je savais que cela ne suffirait pas à me faire pardonner...